Où allait-on ? Je n'en savais fichtre rien. Pas à la plage en tous cas. En fait je ne me soucier pas du tout d'où on allait, c'était le cadet de mes soucis. En quittant les écuries, tandis que je commençais à me dire « ce cheval est une perle rare », je découvris pourquoi on m'avait conseillé de le longer avant de le monter. Dès qu'il vit le chemin de terre qu'on allait emprunter il devînt.. Fou ? Surexcité ? Il me traîna sur 10 mètres dans un trot qui voulait dégénérer au galop et que je m'efforçais de contenir avec énormément de mal, puis je sautais de selle et l'arrêtais. Je l'attachais avec une longe de rando' ( j'en prenais toujours une en ballade ) et m'appuyais à un arbre en sortant une clope que j'allumais. J'aspirais la fumée comme on aspire de l'oxygène. Il tira au renard sans pouvoir se défaire. Je m'approchais de lui en posant mon poignet sur ma côte et tenant ma cigarette du bout des doigts. Da Vinci me fixait d'un regard fou.
« Quoi ? Oui c'est vrai, c'est de ma faute, je savais qu'en t'achetant je me laissais tomber la perfection, mais là ça m'saoûle. »
Il ne comprenait pas ce que je disais mais mon ton lui déplaisait. Il renâcla en reculant et s'ébroua. Le papier de la cigarette se consuma en retombant au sol en cendres. Je ferais mieux de laisser ce cheval à l'écurie et partir loin d'ici. J'étais faite pour les strass et les paillettes, pour la lumière braquée sur moi pendant les compétitions sur le dos d'un cheval parfait, au corps svelte et sportif et à la crinière tressée. Image loin du connemara avec qui j'allais faire cette promenade. Il me regarda du coin de l'oeil, et c'est comme s'il sentait que j'allais l'abandonner. J'écrasais ma cigarette à terre et m'éloignait de là, en direction de l'élevage, d'où je comptais bien partir et retrouver une vie à mon goût. Plus de responsabilités, juste moi, et moi. C'est tout ce que j'avais toujours voulu, non ? Je croisais un oiseau qui paraissait me fusiller du regard, le vent s'était accéléré et faisait un bruit de fou entre les branches des arbres.
Quelqu'un finirait bien par le retrouver en constatant sa disparition et la mienne, ils le chercheraient et le trouveraient, il aurait à peine le temps d'avoir soif. J'allais partir enfin, mais à vrai dire cette idée me fit frémir, elle n'eut pas l'effet de bien-être espérée. Une question me tiraillait l'esprit, me hantait le cœur en moins de temps que je ne l'aurais cru :
« Qui va s'apercevoir de sa disparition ? »
Le palefrenier ne le portait pas dans son cœur, et qui s'apercevrait qu'il manquait un cheval ? Peut-être personne. Il était attaché à un arbre, il était paniqué, il allait avoir soif et faim, il allait faire nuit et des bêtes s'en approcherait à coups sûrs. Et moi, qu'est ce que j'allais faire ? Retourner près de mes parents, entendre leurs discours pitoyables sur la vie, louer un appart immense grâce à eux et reprendre la compétition sous la pression, avec un cheval forcé de faire ça , qui se tuera à la tâche parce qu'on lui demande ?
Sans que je m'en rende compte, mes larmes coulaient . Ou c'était peut-être la pluie, en fait, ou même les deux à mon avis. Et j'avais les pieds dans la boue sans même me rendre compte . Journée pourrie. Oh, et puis zut, il faut que j'arrête de penser comme ceux qui ne sont pas moi. Il faut que je pense comme moi, bon sang, comme moi ! Je tournais mes talons plein de boue, essayant de retrouver mon chemin, la vue brouillée par les larmes. Il fallait que je retrouve Da Vinci.
Ce fut une heure de recherche, peut-être deux, je glissais plusieurs fois, j'étais pleine de boue, les cheveux ruisselants, quand enfin j'aperçus une silhouette grise. Il attendait, la tête basse, crinière trempe, retranché sous un arbre comme abri de fortune. Il n'avait rien demandé, j'étais arrivée dans sa vie , en petite fille capricieuse, et maintenant , voilà où en était. Je me sentais mal, les remords me dévoraient. Je l'aperçus tirer mollement , résigné, pour essayer de fuir mais n'y croyant plus, et j'accélérais encore. Il me repéra et redressa les oreilles, puis j'allais m'écrasais contre lui en enlaçant son encolure de mes bras fins, en pleurant à chaudes larmes. J'articulais péniblement un « désolée ». J'étais à cet instant pitoyablement pitoyable. Tss.
Mes larmes coulèrent le long de mes joues, et j'entrelaçais mes doigts dans la crinière du connemara. Ca ne me dérangeait pas de rester là sous la pluie, mais pour la première fois de la journée, j'avais une idée lucide et généreuse : loin de mon égoïsme habituel, je pensais enfin à Da Vinci. Lui avait envi de rentrer. J'enlevais mon pull dans un geste désespéré et lui séchais le chanfrein avant de remonter en selle rapidement. Le cuir glissait mais il fallait rentrer au sec au plus vite. J'empruntais le chemin le plus rapide et couvert par un large feuillage d'arbre et on rentrait à l'écurie.