Comme nous avions quitté la carrière je remontai sur mes rênes, plus par sécurité que parce que je ne lui faisais pas confiance. Quand Manners se rendit compte que nous avions dépassé les écuries sans nous arrêter il se tendit un peu. Je fus surpris de sa réaction mais je le caressai : il n’avait pas dû avoir beaucoup d’occasion de se promener sans travailler. Il n’avait que douze ans et pourtant, aucune figure ne semblait pouvoir lui résister bien longtemps. Il avait dû passer des heures entières enfermé dans un manège à répéter le même pas, la même allure. Mais qui, sur cette étrange Terre, ne s’était jamais borné à ces maladives répétitions ? Lui et moi avions en fait plus de points communs que je n’aurai osé le penser.

Si Manners était un danseur quand j’étais un guerrier, le résultat restait le même : comme lui, j’avais répété mille fois le même geste, mille fois le même enchaînement. Lui avait appris le piaffer/passage pour glaner le plus de points en concours, moi, on m’avait appris le crochet du droit/upercut dans le but de mettre mon adversaire K.O. J’accordai sans mal au bel hongre que son sport était bien plus noble que le mien mais cette connaissance commune de la répétition trouvait pour moi un sens et, orgueilleux, il m’était plaisant de me dire que je le comprenais. Bien sûr, c’était présomptueux de ma part mais j’avais été élevé ainsi. Beaucoup s’était courbé devant moi comme si j’avais été fils de roi et finalement, seuls les sous-sols effroyables de cette Moscou cannibale m’avaient montré la réalité du monde.

Un oiseau passa au raz de la croupe du Lusitanien et, surpris, il fit un écart. J’étais perdu dans mes pensées et je fus déséquilibré. Heureusement que Mister était calme : il ne bougea pas davantage et je pu me remettre bien en selle sans mal. Je constatai alors que le gris ne semblait pas plus emballé que ça à l’idée de se promener et je décidai d’écourter notre promenade. Plus loin s’étendaient d’immenses champs de fleurs roses mais nous ne les atteindrions pas, pas à cette allure du moins. Il faisait chaud et Manners s’était donné avec générosité et abnégation. S’il ne prenait pas de plaisir à sortir, je ne voulais pas le lui imposer. Je le flattai avant d’amorcer un demi-tour pour retourner aux écuries.  

« Nous aurons au moins essayé mon vieux … »