La tête dans les nuages

Je guide l'étalon bai en direction des sentiers de balades. Monsieur TF a la tête en l'air, les oreilles qui bougent dans tout les sens et les naseaux grand ouverts. Il souffle à grand bruit. On dirait qu'il se prépare pour une compétition et que la tension est montée d'un cran !

- Tu sais, on va juste faire une balade pépère alors pas la peine de te mettre dans cet état !

Mais il faut croire qu'il ne comprend pas un mot de ce que je dis, ce qui est normal vous me direz. On passe à côté de la carrière et là il s'enflamme : il prend la direction de la carrière à grandes enjambées et je peine à le retenir ! C'est qu'il a de la force ce gros gourmand ! Il n'a pas que de la graisse à nourrir, il en a des muscles !

- TF, non on ne va pas par là !

Mais le beau fait la sourde oreille. Non non, je veux travailler, je veux sauter, faire un truc qui bouge, avec un temps record à établir ! S'ensuit alors une bataille de force : moi voulant l'emmener vers les sentiers, lui voulant m'emporter dans la carrière. Je sais que ça ne mènera à rien comme ça, surtout que je vais perdre, il a tellement plus de force que moi ! J'arrête alors de tirer et il m'arrache les rênes des mains. Ah ah, j'ai gagné ! je vois son regard moqueur et brillant de fierté d'avoir une victoire. Il se dirige alors au petit trot vers la carrière, les rênes pendant devant lui, ce qui est assez dangereux quand même. Par chance, quelqu'un avait la présence d'esprit de fermer l'espace de sable si bien que Twisted Fate ne pouvait entrer. Il s'arrête devant la barrière, se tourne pour me regarder et se met à hennir d'impatience "Bon tu vas ouvrir maintenant !". Mais moi, je ne l'entends plus. Du moins, je fais la sourde oreille, comme lui. Hop, changement de rôle ! Je me retourne et m'éloigne du cheval qui continue à me supplier.

- Au revoir Twisted !

J'avance en direction des sentiers. J'espère juste que TF réagira, j'ai pas envie de faire une balade à pied ! Je n'entends plus le hennissement de l'étalon. Tiens, bon signe ça ! Je jette un oeil en arrière pour voir où il en est et je le vois trotter à ma rencontre.

- Ah bah voilà, t'as vite compris dis moi !

Mais je n'allais pas m'en tirer si facilement. L'étalon ne s'arrête qu'une fois qu'il m'ai poussé violemment et me fixe lorsque je suis fesses à terre.

- Ouais ok, j'ai compris aussi !

Je me relève en frottant mon derrière endolori. Pourquoi le sol est en graviers au lieu d'être en mousse ? Franchement, je ne sais pas qui a eu l'idée... J'attrape les rênes de TF, les passe au dessus de son encolure et resangle avant de me mettre en selle. Avoir son cheval à soi comporte un certain avantage : les étriers sont déjà réglés pour moi ! Je ne perds pas une minute de plus et fais avancer TF au pas.

Nous avançons tranquillement au pas sur le sentier boisé. Étonnement, le bai ne bronche pas et marche tête baissée. Sûrement encore déçu de ne pas faire un travail en carrière.

- Allez mon vieux, on va se bouger un peu non ?

Une pression de talons et le bai passe au trot sans se faire attendre. Il a gardé ses réactions de cheval de compétition. Au bout de quelques minutes, la température a nettement baissée. Je ralentis mon cheval et TF repasse au pas. Il a levé sa tête et tout ses sens sont en alerte. Le brouillard commence à s'envelopper autour de nous. Le bai ne veut plus s'avancer, inquiet, mais je le garde au pas. Je sais très bien que ce brouillard est inquiétant mais ce n'est qu'une apparence. Mais il reste quand même mystérieux et sans explication.

Le sentier blanchi par le brouillard me semble interminable. J'ai du mal à distinguer les oreilles de mon cheval et lui doit avoir du mal à savoir où il pose ses sabots ! Tant de blanc, tellement de blanc, je n'ai pas su distinguer la fin de ce sentier au merveilleux spectacle qui se dresse devant nous.

Une lumière éblouissante m'aveugle. Je met un certain temps à m'habituer à cette luminosité mais lorsque j'ouvre enfin les yeux, je suis émerveillé, la bouche grande ouverte tel un enfant devant le père noël. Des nuages. Que des nuages. Et nous marchons dessus. TF s'est arrêté aussi et regarde droit devant lui, sûrement dans le même état que moi. Après tout, ce n'est pas du tout commun comme endroit ! Je le fais avancer et les jambes du bai balaye les nuages sur son passage. Le cheval baisse la tête et touche un nuage du bout de son nez et se relève immédiatement, surpris par cette texture étrange. Moi aussi j'ai envie de les toucher. J'arrête Twisted et descend de son dos. Quand je tombe sur le sol, la sensation est étrange : je retombe doucement un peu comme si le sol est fait en coton. Voilà, il nous faut ça comme sol dans l'Elevage ! Fini les bleus avec ça ! Je m'accroupis et caresse un nuage avec ma main. J'ai l'impression de ne rien toucher et pourtant je ressens une grande douceur. Cet endroit m'apaise. Mes soucis me semblent tellement loin à présent !

Twisted Fate me ramène à la réalité en hennissant d'un bon coup. Je le regarde piaffer sur place. Il a envie de galoper !

- Avec grand plaisir !

Je me remet en selle et place mes aides pour un départ au galop. TF fonce à coeur joie. Nous galopons à toute vitesse à travers les nuages. Je ne tente rien pour le ralentir, je me laisse porter. Je ressens une pointe d'adrénaline par cette vitesse mais aussi de l'excitation. Quelle sensation de galoper ainsi ! Je ne sais pas vraiment jusqu'où cette plaine de nuage va alors je décide de calmer le jeu. Mais le bai a encore de l'énergie à revendre et le ralentir n'est pas une mince affaire ! Il agite sa tête dans tout les sens, refusant le contact des rênes. J'écarte alors la main droite et lui fait décrire un cercle de plus en plus serré. Il est alors contraint de ralentir et au final il s'arrête.

- Et bien tu fais pas ton âge tu sais !

C'est vrai qu'on a du mal à voir qu'il a 17 ans (je crois). Bientôt la retraite ! Je l'imagine très mal en train de se reposer dans un pré avec les vieux grincheux ! Je le vois plutôt en train d'hennir de demander de sortir, de sauter des oxers, courir sur un parcours de cross... Ouais c'est plutôt son genre. Je dirige l'étalon vers là d'où on vient... enfin j'espère parce que c'est pas évident dans tout ces nuages ! Nous avançons au trot et je guette le moindre arbre signalant le sentier. Mon sens de l'orientation n'est pas si mauvais que ça : j'aperçois l'entrée du sentier juste devant moi.

- Un dernier sprint mon vieux ?

Même pas besoin de placer mes aides, enfin je n'en ai pas eu le temps. Il a tout de suite compris et nous nous élançons au galop en direction de l'Elevage.