Longe en main, je guide Jinxed à travers les écuries. Décidément, j’ai l’impression que le club est toujours vide en ce moment ! Quoi que, puis-je vraiment comparer avec avant puisque avant je ne sortais pas ? Toujours est-il que nous avançons pas à pas entre les boxs, alors que les autres chevaux mangent pour la plupart et que le soleil nous baigne doucement de ses rayons dorés.

Les gens que nous croisons nous dévisagent alors que nous marchons vers les chemins de balade. Est-ce parce que je suis une personne « infréquentable » en compagnie d’une jument réputée « désagréable » ? C’est vrai que vu comme ça nous ne faisons peut-être pas le plus couple le plus normal et attirant de l’univers. Mais je crois qu’on se complète bien avec ma petite ponette. D’ailleurs je me demande toujours ce qui m’a pris de choisir une jument si petite alors que je me plaignais à chaque fois que Joshua m’attribuait un cheval de moins d’un mètre 60.  Mais bon, cette petite jument je ne la monte pas vraiment. Déjà parce que je n’aime pas vraiment monter et ensuite parce qu’elle n’aime pas vraiment être montée nous plus. Tout le monde y gagne finalement !

Le chemin que j’ai choisi est un chemin de balade tout à fait normal. J’aurais préféré prendre un chemin « spécial » mais ils me sont interdits pour le moment. Je n’ai pas assez fait mes preuves à cheval. Je ne suis pas superstitieux mais ça m’intrigue. « Juste un pas dans la douceur du paradis » tu parles ! Y a pas plus gnangnan comme nom ! Surtout que vous n’avez pas vu la photo qui illustre la balade ! Des petits nuages et encore des petits nuages à croire que nous sommes arrivés au bout du monde et que nous flottons dans le ciel, waaaaaah !  Mais bon, cela attise ma curiosité, c’est comme ça.

Enfin bon, en attendant d’avoir mon galop 9, j’ai choisi la plage comme objectif du jour. « Dans le bleu de la mer » pour être précis ! Un autre chemin m’avait plu, une histoire de jeux d’eaux qui font de la musique. Bien piètre hommage au monument que sont les « Jeux d’Eau » de Ravel à mon humble avis. Et puis ma petite poupée a peur du bruit alors je doute que l’amener au sein même d’une symphonie aquatique soit une merveille idée. La mer au moins c’est calme, désert et naturel. Je pense que cela correspond mieux à la simplicité que nous semblons chercher, l’un comme l’autre.

Nous traversons tranquillement les bois qui mènent à l’océan. Le vent est doux et Jinxed très sage en longe. Elle n’essaye pas de m’arracher la longe des mains ou même de tendre la tête pour attraper une brindille. Je pense que ça lui fait du bien de sortir et de « travailler » un peu en longe, même si visiblement elle ne pose pas et ne posera jamais l’éternel problème du sale à puce qui n’en fait qu’à sa tête et bouscule tout le monde. Même si j’avoue que ça serait peut-être parfois motivant de la voir s’affirmer un peu !

Sur sa fiche est marqué qu’il ait nécessaire de lui faire une longue détente calme. Je considère cette demi-heure de marche active en longe et en extérieur pour la première fois comme une longue détente calme. Je me tâte actuellement pour lui faire travailler un peu son endurance et éventuellement un peu d’éthologie ! Si je fais un peu de tout en petite quantité au moins elle ne se lassera pas.

Arrivé devant la mer j’ai pris ma décision : un peu d’endurance sur le sable devant le bleu merveilleux de l’océan. Je trouve tout d’abord un endroit relativement plat au niveau du sable encore mouillé de la récente marée. Le sable fin des dunes mettra ses tendons à trop rude épreuve pour un premier entrainement. J’attrape une longue branche qui ressemble étrangement un roseau ou une branche de saule pleureur, et décide de m’en servir comme chambrière. Je me place au milieu d’un cercle, Jinxed à 3 mètres de moi, agite ma « chambrière maison » … et voilà ma jolie ponette en train de rouler des yeux affolés en refusant strictement de bouger. Etonné j’agite un peu ma chambrière pour la faire réagir mais elle donne un immense coup de cul, enchaine deux foulées de galop et s’arrête avec le même air affolé. Bon ben visiblement les chambrières c’est pas ses potes ! Je jette ma branche au loin et essaye de l’encourager à la voix.

Jinxed passe sagement au trot, gardant le diamètre du cercle, à nouveau sage comme une image. Moi qui voulais qu’elle se manifeste je suis quand même choqué de sa réaction pour une brindille ! Mais je sais que sa vie n’a pas été simple et qu’une phobie ne se contrôle pas alors je ne m’énerve pas et la regarde trotter pendant 5 bonnes minutes le temps qu’elle s’échauffe. Je la fait ensuite changer de sens pour l’assouplir dans un sens comme dans l’autre. Au bout de ses dix minutes de trottinage, Jinxed commence déjà à ralentir l’allure. Effectivement, elle n’est pas endurante ma ponette ! Peut-être faudra-t-il que j’appelle le véto, au cas où ! Je la fais donc ralentir un peu d’une légère pression sur la longe accompagné d’un petit « doucement » de ma voix bourrue que je veux apaisant. Jinxed ralentit légèrement, je ne dois donc pas avoir un ton si méchant que ça au final ! Je la fais encore trotter quelques minutes dans un sens puis dans l’autre avant de la remettre au pas. La tête basse, Jinxed semble être fatiguée, j’arrête donc l’exercice.

Pour l’éthologie je pense que ce sera une autre fois. Je pense que Jinxed a déjà assez de mal avec les hommes, ça ne sert à rien que je la dégoûte encore plus ou que je brise toutes mes chances d’être apprécié en lui faisant croire -à tort- que je suis un esclavagiste et un exploiteur. Je m’approche de Jinxed et la félicite chaleureusement.

Euh …

Lorsque j’ouvre les yeux trente secondes plus tard, je me rend compte que je tiens Jinxed dans mes bras. Je recule vivement et m’époussette.

« Mais ne va pas croire que je suis un sentimental, hein ! Je t’ai fait un câlin certes mais ça m’a échappé. On va pas en faire un fromage non plus ! Allez, promet que tu ne le répèteras à personne ! »

Jinxed me regarde mais je ne vois aucun sourire dans ses yeux. Elle a l’air toujours aussi … morne. La fatigue ? Non je ne crois pas … Pourtant, je l’ai emmené à l’extérieur pour la sortir ! Je pensais que ça lui ferait plaisir et que j’apercevrai une étoile dans ses yeux ! Mais non … Elle ne rit même pas à mes blagues … Je soupire et la caresse doucement en sortant un bout de carottes de la poche de ma veste. Je lui tends mais Jinxed se contente de soupirer elle aussi. Comme la dernière fois dans son box, je m’accroupis devant elle et croque un bout de carotte, le mâche et l’avale avant de lui tendre. C’est vachement meilleur que la pelouse ! Et miracle … Elle mange la friandise goulûment et me lance un regard intéressé :

« Ahah tu vois que tu aimes ça ! »

Mais effrayée par mon exclamation et mon rire sonore, Jinxed baisse immédiatement la tête et reprend son air habituel sans expression. Je fais une grimace et la caresse à nouveau avant de m’exprimer d’une voix que je veux rassurante :

« Mais non ma puce, tu n’as rien fait de mal ! J’étais juste heureux … Tu n’es pas très à l’aise avec les hommes … moi non plus tu sais … »

Je lui tends une nouvelle friandise et la fait marché doucement à travers les dunes pour rejoindre la forêt et son herbe fraiche. Je m’assoie sur le sol à la lisière de la forêt pour la laisser brouter mais Jinxed ne bouge pas et ne regarde même pas l’herbe, sûrement de peur d’avoir une sanction.

« Mais elle est pour toi toute cette herbe ma puce ! »

Jinxed ne me fixe pas, ne fixe pas l’herbe mais regarde inlassablement le vide. J’arrache une touffe d’herbes et lui tends. Jinxed la fixe mais n’y touche pas. C’est quand même fou ça ! Un cheval ça mange de l’herbe ! Mais comment la nourrissait-on avant ? Personne ne lui a jamais tendu une friandise ou de l’herbe ?!

« Jinxed je te préviens je ne mangerais pas le gazon une nouvelle fois ! »

Son air abattu m’achève. Je jette un regard autour de moi pour m’assurer qu’il n’y a personne, me penche et arrache un brin d’herbe avec les dents. Un brin d’herbe à moitié dans la bouche, je lui souris et lui montre l’herbe. Comme par hasard, Jinxed se penche et arrache quelques brins d’herbe. Voyant que je ne la gronde pas, elle les avale, puis, voyant que je ne la gronde toujours pas, elle se met à les arracher par poignées. Je ne suis pas son premier propriétaire mais je suis sûrement le premier à brouter !!

Au bout d’une demi-heure, je me lève et Jinxed se immédiatement au garde à vous. Ca au moins c’est cool ! Pas besoin de la tirer sur 50 mètres pour qu’elle comprenne que là, on part ! Même si les raisons profondes de son geste sont moins amusantes … Nous marchons d’un bon pas vers l’Elevage et je soupire :

« Finalement je crois qu’on est pareil toi et moi … Deux paumés qui ne savent pas comment se comporter avec les autres, qui ont toujours l’impression d’agir mal … Deux rejetés de la société, qui n’ont leur place nulle part. On s’est bien trouvé finalement. Et je crois qu’on a beaucoup de choses à apprendre l’un de l’autre. Déjà, il va falloir apprendre à se faire confiance, et ça, ça va être une autre histoire … Quand on en sera là peut-être, j’essaierai de te monter. Pour l’instant non … Je ne suis pas un assez bon cavalier et toi pas assez confiante et expérimentée non plus. On va faire n’importe quoi. Vaut mieux y aller doucement je crois … »

Et alors que je parle, parle, parle, nous arrivons à l’Elevage et traversons les écuries jusqu’à son box. Je continue de lui raconter ma vie, nos projets pour nous deux, à quelle point elle est super … Elle ne comprend pas un traitre mot de ce que je dis mais je crois que ça nous va à tous les deux. Elle s’habitue à ma voix et peut-être comprendra-t-elle qu’on peut lui parler autrement que pour lui donner un ordre ou lui gueuler dessus ? Et moi, je n’ai jamais parlé aussi librement à quelqu’un.