Alors que les nuages commençaient a cacher le soleil, j'arrivais à la carrière avec Gnap sur mes talons. Enfin, plutôt loin des talons, à vrai dire, puisque Monsieur le pur-sang prenait son temps en raclant le sol du bout des sabots. J'appréhendais déjà une séance morne et difficile, mais il fallait que je garde absolument ma motivation, sinon je perdrais toute crédibilité envers le hongre. Il s’arrêta presque avant moi, au milieu du manège, les yeux déjà en train de se refermer. Je le ressangle d'un trou, et vite, j'enchaine : pas question de lui laisser le temps de se poser, ni une ni deux, j’attrape le pommeau de la selle et monte dynamiquement en faisant quant même attention à son dos. Je presse mes jambes mais rien ne se passe. Sans trop réfléchir, je talonne pour obtenir un faible mouvement en avant. Quelle élégance que ce gros caramel mou qui s'agite mollement sous mes aides, en cherchant a en faire le moins possible !

J'ai cessé de talonner, mais je dois sans cesse le pousser dans le mouvement, sans quoi l'arrêt serait inévitable. Malgré tout, je commence la détente ainsi, en faisant des figures simples : diagonales, grands cercles, doublés, serpentines, en changeant de main régulièrement. Au moins, il n'est pas froid en bouche et tourne facilement. Par contre, aucune souplesse, l'incurvation est a revoir ! C'est une vraie galère que de lui faire comprendre de se plier autour de ma jambe. A vrai dire je fais déjà beaucoup d'efforts rien que pour le garder au pas, alors placer ma jambe intérieur pour incurver, ça me parait exténuant. Ça fait longtemps que j'ai pas monté moi hé ! Finalement, seul petit plaisirs a savourer, mon cheval est droit, dans la rectitude. Mais à quoi bon s'en réjouir, puisqu'il se fiche bien d'être un minimum élégant ? C'est dingue, mais j'ai l'impression qu'on m'observe monter, c'est horripilant...

Bon aller, travail au trot maintenant. Bien sur, il ne répond pas aux jambes, mais j'ai tout prévu : d'un coup de cravache, je tape fermement sur la croupe. Gnap s'élance, il semble avoir comprit et... Ah ba non en fait. Même pas 5 mètres plus loin, il repasse au pas tout seul. Nouveau coup de cravache accompagné d'un encouragement vocal, cette fois. Faiblement, il lève un diagonal après l'autre, comme si il avait des boulets aux chevilles... Bon au moins, il conserve l'allure, mais c'est une vrai bataille, comme au pas, pour faire en sorte qu'il ne décélère pas. J'ai beau me fâcher une troisième fois plus fort, c'est à peine si il accélère avant de laisser tomber. Clairement, Gnap est un super-blasé de la vie. En plus d'être mou, il a l'air de s'ennuyer et d'ignorer tout ce qui l'entoure. Même le vent qui commence a se lever ne l'excite pas. Je crois qu'on pourrait faire exploser une bombe atomique à côté de lui qu'il ne réagirait même pas ! Une vraie guimauve...

Je sens bien que mon travail de détente ne sert pas à grand chose, c'est à peine si je l'ai assouplis après 20 bonnes minutes d'échauffement. Au moins, ça me donne déjà l'idée de ce qu'il faut travailler en premier, mais d'abord, je dois détendre au galop... Et l'idée ne m'enchante guerre. On aura beau croire ce qu'on veut, un cheval flegmatique n'est pas forcément synonyme de facilités, comme beaucoup on tort a penser... Le travail peut même se révéler plus dur qu'avec un cheval qui pète le feu ! La seule vraie différence entre les deux en fait, c'est qu'au moins sur Gnap, je risque pas de tomber subitement et de voir ma vie défiler en moins d'une centième de seconde... Si par miracle je finis le cul à terre avec lui, j'aurais même le temps de la lui réciter en poésie, ma vie ! Bref, je me met sur la piste au trot (un départ du pas ou de l'arrêt, même pas en rêve à ce stade de mollasserie !), et demande dans un tournant pour favoriser son impulsion en avant. Le coup de cravache est encore une fois inévitable, mais miraculeusement, il part du premier coup...

Pendant trois tour, je lutte, je le pousse, je le porte même, et me fais secouer dans tous les sens. La tournure que prend cette séance est désespérante, car je n'obtiens pas de meilleurs résultat sur le galop à l'autre main. J'ai pourtant essayer de favoriser la ligne droite, pour lui donner envie d'accélérer mais non. C'est à croire qu'il a trop peur de s'abimer les jambes si il s'en sert trop. Bon, par principe je caresse quant même à la fin, mais je ne sais pas si il le mérite... Je ne m'attarde pas a reprendre le boulot, de toute façon comme Monsieur Gnap ne s'est pas foulé, il ne doit pas être plus fatigué que ça, c'est à peine si il souffle ! Je reprends au pas sur des figures simples comme tout à l'heure, mais ma patience à des limites, et là, je donne beaucoup de voix ! Ca suffit de faire le canapé, maintenant, je veux une Ferrari, bout diou ! Oubliant qu'on peux me regarder, je commence un concert cacophonique, entre appels de langues, des "Aller !" dont on ne sait pas trop si ils sont encourageants ou autoritaire, et des "Troo-tteeerr !" qui s'éternisent.

Gnap est insensible à la musique et se fiche bien que je me casse le bassin sur la selle pour le faire avancer. J'exagère le mouvement en essayant de suivre les mouvements de son corps, mais j'ai plus l'air ridicule qu'autre chose. Je lui fais faire plein de transitions, notamment pas-trot et arrêt-trot, et si je n'ai pas de mal a l'arrêter, les transitions montantes sont de plus en plus désunies et catastrophiques. Bien sur, je me sers de la cravache, mais comme je ne tape que fermement et pas fort, il réagit juste quelques secondes avant de laisser tomber. Ni tenant plus, je me maudis tout en lui donnant une des plus grosses claques sur le cul que je n'ai jamais donné, et enfin, Gnap, après 1h de travail, cadence son trot à la demande. Hallelujah ! Je récompense, pour une fois qu'il y met du sien ! Épuisé d'avoir porté mon cheval toute la séance, j'arrête le baie sur la piste, sans même prendre le temps d'aller au milieu de la carrière, et le tire par les rênes aux écuries.

Je souffle de mécontentement. Ça ne pourra pas se passer comme ça tout les mois. Je vais être K.O avant le dernier round si je dois le pousser sans arrêt. Et continuer avec des coups de cravache ne servirait à rien, sinon de le rendre complètement insensible à tout contact physique, et ça serait le pire qui puisse arriver. Je crois qu'il va vite falloir réviser la théorie...