Un long sentier bordé par la nature gelée nous avait finalement menées ici, sur cette plage. L'eau était calme, stoïque et dégageait une impression de fraicheur. Toujours à pieds, à côté de la belle alezane dansante. Elle s'arrêta soudain, ne tirant plus sur la longe, ne m'imposant plus sa rigoureuse marche au pas. Elle semblait chercher au fond de moi, essayer d'un coup de me comprendre. Mais je secouais la tête comme pour l'en faire sortir et cherchais à la faire réagir en lui criant
« Oust ! » Mais aucune réaction de la part de l'animal. J'agitais alors les bras, lui clamant qu'il fallait qu'elle se bouge et lui courant après. Elle n'énerva enfin, partant au galop en montant le dos et en lançant des ruades. Elle hennit et galopa en liberté sur la bande de sable. A peine j'avais réussi à l'attraper que je l'incitais à s'en aller. Ma logique si il puisse en perdurer une en moi me lâchait lamentablement. Mes douceurs et politesses au box, transformées en pétage en l'air de la jument libérée.
De son air empli de gaieté et d'apparente joie de vivre, elle me surmontait, piaffant d'impatience devant moi. L'idée folle de monter sur la jument couverte et sans embouchure, sans rien pour la retenir me séduit quand même, malgré tous les petits "non" qui courraient l'air agar dans ma tête, je me hissais sur la jument, moulinant avec mes pieds dans le vide pour arriver à m'assoir sur son dos. Au cas que je n'ai rien prévu, elle prit possession du programme et trotta comme elle le souhaitait, sur le sable encore humide de la marée descendante. Elle semblait se dégourdir les jambes tranquillement, sans même oser penser à se soucier de ma personne. Quand elle en eu assez, elle reprit toute seule et de sa propre volonté le chemin vers les écuries. Mais elle oubliait certainement qui avait posé ses deux fesses sur son dos. C'était bel et bien Manon, et elle n'allait pas encore rentrer au box, parole de casse-bonbons !
Je pressais les jambes et la rappelais à l'ordre en la ramenant vers le milieu de la plage. L'apparence fort peu concernée, elle marchait d'un pas mou et sans vie. Je pressais alors encore mes fins mollets, espérant une réaction de la belle alezane. Elle coucha alors les oreilles en arrière, soudain indignée d'avoir étée contredite. Je l'incitais à trotter et cherchais ses allures, ne lui laissant d'un coup plus de répit. Au trot, au pas, au galop, stop un arrêt, on repart au trot. J'enchainais les transitions, les courbes et les variations d'allure. Et la lutte terminée, mes membres tombant de lassitude et de fatigue, la jument fut enfin active, réactive et agréable. Elle trotta, galopa gentiment puis prit le chemin de l'écurie sans que je l'ose la contredire. La belle était pour le moins surprenante. Il lui fallait une courte séance de remise en place pour reprendre l'envie de bouger. Nous rentrions, elle toute guillerette et moi, l'esprit absolument embrouillé.